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Les
terroristes
"C'est la nouvelle
forme de terrorisme qui frappe le Québec", disait Stéphan
Bureau. Son grand front de premier de classe s'est chagriné
d'une ride d'agacement tandis que la caméra nous ramenait
à la conférence de presse où Jean Monty pontifiait
sur les bourses du millénaire.
Stéphan Bureau qui traite Monty de terroriste
en plein téléjournal? Ciel! Le jeune homme aurait-il
des couilles en plus d'un grand front?
Hélas! hélas! Je déchantai dans la seconde.
Le terrosiste dont parlait Bureau n'était pas Jean Monty.
Vous savez qui est Jean Monty? C'est le PDG de Bell Enterprise qui
va mettre 2500 téléphonistes au chômage. Le
terroriste dont parlait Bureau, ce n'était pas Monty, mais
plutôt le type qui voulait lui foutre une tarte à la
crème dans la figure.
Merci Stéphan de dénoncer les criminels qui tournent
l'information en dérision. Mais félicitons surtout
notre confrère Louis Lemieux qui a presque démasqué
les entartistes et leurs complices... Une semaine auparavant, Louis
Lemieux avait couvert une conférence de presse chahutée
par les entartistes qui avaient encrémé le ministre
Pierre Pettigrew, celui-là qui met des quotas sur les chômeurs.
On a vu l'entartage au téléjournal, le commentaire
était de Louis Lemieux, mais les images avaient été
achetées à un caméraman pigiste. Une camérawoman
pour être plus précis... Quand Louis Lemieux a aperçu
la même camérawoman à la conférence de
presse de Jean Monty, il s'est dit: ah ah! avec cette intuition
très pointue qui est la marque des grands reporters, il a
compris qu'on allait aussi entarter Monty, il a eu l'idée
de préparer un topo sur les entarteurs.
"C'est la nouvelle forme de terrorisme qui frappe le Québec",
disait Stéphan Bureau pour présenter le topo de Louis
Lemieux. Sur le coup, j'ai cru qu'il voulait parler de Jean Monty,
le type qui va se débarasser de 2500 téléphonistes
pour faire monter les actions de Bell. Mais ce n'était pas
Jean Monty qu'on voyait à l'écran, c'était
une jeune femme aux cheveux courts, caméra sur l'épaule,
spottée dans un rond de lumière comme on le fait pour
distinguer un mafioso dans une foule, pour dire voyez c'est lui,
il était là.
-Hé je la connais!
-Qui ça?
-La fille dans le rond de lumière...
-Une autre de tes étudiantes, je suppose?
Ma fiancée a une façon d'insister sur "je suppose"
qui suppose plein de trucs qui ne sont jamais arrivés. Anyway,
je me suis rappelé le nom de la fille: Ève. Une petite
rock'n'roll. Une grande en fait. Je l'ai retracée assez vite.
-Allo Ève, long time no see. Ça doit faire 18 ans,
et t'avais 18 ans. T'es devenue terroriste?
-M'en parle pas.
Mais on en a parlé. Ève est camérawoman. Elle
a travaillé un bout de temps à Global News, à
Quatre Saisons, un peu partout. Maintenant elle est pigiste.
-T'es dans la gang des entarteurs?
-Pas du tout.
-Mais tu les connais?
-Bien sûr. Ils m'avertissent, comme ils avertissent d'autres
journalistes qu'il va y avoir un entartage. J'y vais. Je fais mes
images, je les vends. Je suis témoin de l'événement,
pas acteur.
(Peut-être convient-il de rappeller ici que les entartistes
sont un groupe de pâtissiers pataphysiciens, héritiers
du Parti Rhinocéros (il y a du François Gourd là-dessous)
qui ont déjà entarté des tartes du genre William
Johnson, Jean Doré, Raël, Pierre Bourque, Bill Gates,
etc. Que justice soit fête, dit leur devise. Une fête
évidemment très médiatisée, ce que Stéphan
Bureau a relevé avec un rien d'impatience: "Les auteurs
des entartages arrivent à se faire une place dans les médias
à chacune de leurs interventions", se désolait-il.
-Dis donc Ève, si les entarteurs t'avertissent qu'il va y
avir un entartage, alors t'es complice, non?
-Où tu t'en vas avec tes claques! Les journalistes qui sont
allés à la conférence de Monty, il a bien fallu
que quelqu'un les avertisse que Monty serait à tel endroit,
à telle heure, et qu'il allait dire des conneries sur ci
et ça. Tu crois pas que Monty fait plus de terrorisme avec
ses rationnalisations de personnel que les entartistes avec une
petite bonbonne de crème fouettée? Est-ce que les
journalistes qui sont allés à la conférence
de presse de Monty, pour Monty, sont complices des coupes de personnel
qu'il va faire au Bell?... Quand les flics nous avertissent qu'ils
vont faire une descente dans un club de danseuses à Laval,
et qu'ils nous invitent à filmer la chose pour que le bon
peuple puisse juger de l'efficacité de la police, est-ce
que je suis complice de la goujaterie des flics? Ben d'abord j'ai
été terroriste souvent et je n'en suis pas très
fière.
"C'est la nouvelle forme de terrorisme qui frappe le Québec",
disait Stéphan Bureau.
Tu déconnes, Stéphan. La nouvelle forme de terrorisme
qui frappe le Québec c'est pas la tarte à la crème.
Et rassure-toi, ce n'est pas toi non plus. Ève aurait bien
aimé que je dise que c'est toi, le terroriste. Mais non.
T'es plutôt mignon. Tu t'es trompé. Bon. Elle s'en
remettra. C'est une grande fille.
Tu sais ce que m'ont dit plusieurs lecteurs cette semaine? Ils m'ont
dit que le terroriste, c'était moi. Tu sais pourquoi? Pour
trois petits mots que j'ai ajoutés à la fin d'un texte
écrit par deux universitaires qui, tout en me traitant de
tous les noms, se portaient à la défense du téteux
cuivré, une sorte de biologiste qui s'intéresse aux
poissons d'eau douce.
La semaine d'avant, une dame de Boucherville m'avait laissé
un message courroucé, parce que j'ai écrit que Boucherville
était une banlieue col bleu. "Vous saurez que Boucherville
n'est pas une banlieue ouvrière, il n'y a pas de cols bleus
ici et gnagnagna". Elle avait laissé un numéro.
Je l'appelle. Gentil et tout. OK je me suis trompé. Mais
pourquoi la seule idée d'habiter une banlieue ouvrière
vous met dans cet état, madame? Elle a explosé. "Vous
êtes bien comme dans vos chroniques, vous avez toujours le
dernier mot, vous êtes un... elle s'est mise à bégayer,
un té, un té, un terroriste.
Eh misère. Terroriste pour une simple question. Terroriste
pour un poisson. Et toi Stéphan, pas mieux loti, qu'une tarte
à la crème épouvante. Comme on est loin de
l'Algérie, non? Comme nos terreurs sont confortables. Comme
nos indignations nous "libèrent". Comme nous jouons
bien du tambour. Comme nos postures sont dignes, ah si si mon vieux,
je la trouve très bien la petite ride qui te barre la front
quand tu t'exaspères. Et comme on dort bien quand même
malgré tous ces terroristes qui nous menacent, tu ne trouves
pas, Stéphan?
Pierre FOGLIA |
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