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Journal L'Itinéraire |
Août 1998
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François
Gourd, animateur, amuseur public et entartiste.
Ses idées sur tout et sur l'itinérance.
Connaissez-vous François
Gourd? C'est un incontournable dans le milieu artistique montréalais.
Il connaît tout le monde. Tout le monde le connaît et
le autres font semblant. Il anime depuis quelques années
les Cabarets de la pleine lune au Lion d'Or, rue Ontario, et parfois
au Medley, rue St-Denis. Il a ouvert les Foufounes Électriques
il y a 15 ans. Il s'est aussi présenté cinq fois comme
candidat rhinocéros, le parti fédéraliste de
la dérision fondé par le docteur Jacques Ferron. Et,
il y a quelques mois il a mis au monde les entartistes du Québec
avec une gang de chums.
L'entartage de Jacques Duchesneau, lors d'une réunion
politique, et de William Johnson à la Saint-Jean, c'est eux
et lui. Pierre Demers l'a rencontré pour qu'il nous parle
de sa vision de notre monde où se côtoient itinérance,
pauvreté, entartistes, la vie, quoi! "Je reproche aux
médias de ne pas animer vraiment la ville et d'être
au service du commerce. Pour moi, le seul journal intéressant
c'est L'Itinéraire parce que c'est le seul journal qui n'a
pas besoin de mentir pour vivre. À L'Itinéraire, on
est pas conditionné par l'envie de vendre ou de faire carrière.
Seule l'envie de dire sa vie et celle des autres les démange.
C'est un journal qui donne envie d'être ce qu'on est."
Dans nos rues, je trouve extraordinaire la présence des itinérants.
Ils animent les coins de rue. Ça fait du bien de rencontrer
des gens qui quêtent. ça nous renvoie à notre
propre égoïsme de voir quelqu'un qui tend la main. Passer
devant en l'ignorant nous renvoie à notre perception de la
société. Une fois, je suis allé dans un restaurant
de la rue St-Laurent avec mon chien. Le propriétaire lui
a donné le reste d'un gros steak et quand un itinérant
s'est présenté pour demander à manger, il l'a
foutu à la porte. C'est insensé. Pourquoi avoir peur
de donner? C'est un privilège extraordinaire de pouvoir le
faire. J'ignore pourquoi les gens sont si égoïstes et
se privent d'un tel bonheur? Plus tu donnes, plus tu fais du bien.
L'une des règles de base dans toutes les sagesses ou les
religions est la compassion. Tu ne peux jamais atteindre la sagesse
par égoïsme. Une autre règle, c'est la méditation
ou la concentration. Les sages suggèrent de passer du temps
seul avec soi-même. On parle, on bouge, on sort trop tout
le temps. On regarde la télé, on va dans les discothèques
voir le monde. Ce qui fait qu'on est plus jamais avec soi-même.
On se perd toujours en dehors alors que c'est en dedans de soi qu'on
à a faire ce travail de recherche. Apprendre à sentir
sa propre existence est une autre voie vers la sagesse. Il y en
a d'autres. Je ne les connais pas toutes. Je suis loin d'être
sage moi-même...
Les cabarets, c'est mon travail. C'est l'occasion pour moi de réunir
beaucoup de monde disparate. Un groupe de "rappeurs" avec
une animatrice d'atelier d'éveil sensoriel, Miss Yoyo, une
jeune contestataire et le docteur Landry, un vieux chansonnier contestataire.
Je pars des punks anarchistes aux bouddhistes qui méditent
et tout ce qu'il y a entre les deux. Depuis le début des
cabarets, j'ai réuni une bonne centaine de personnes connues
et inconnues: Gaston Miron, les Frères à cheval, Lou
Babin, la chorale de l'Accueil Bonneau, Richard Desjardins, etc.
C'est tout de même juste cinq minutes de show qu'on leur donne.
La plupart acceptent. Je réunis toujours des gens remplis
de vie. Je préfère les gens remplis de vie aux gens
remplis de vide. La pauvreté ne me révolte plus, elle
m'attriste. Ce que je trouve le plus triste dans la pauvreté
c'est la solitude. Les riches solitaires sont tristes aussi.
L'important c'est d'avoir de la vie en dedans de soi, de ne pas
être éteint. La vie, ça se voit dans les regards
allumés. Il y a des itinérants dans la rue qui sont
allumés. Des vendeurs de L'Itinéraire aussi. Dans
toutes les professions, c'est la même chose: certains sont
allumés, d'autres sont éteints. C'est l'égoisme
des plus riches qui cause tout cela. Faudrait convaincre les riches
de faire davantage partie de la communauté. Faut être
débile pour croire au Ritalin comme solution à l'hyperactivité
infantile! Faut être sénile pour croire au miracle
du Viagra.! Faut se lever contre toute la pollution chimique, psychologique
et médiatique. Faut se lever surtout contre la débilité
de la télévision. Quand tu passes ta vie à
regarder la télé, tu deviens le témoin de la
vie des autres. Tu deviens amorphe et tu vis ta vie par procuration.
Ma télé a pété il y a six ans. J'ai
pris cela comme un signe du ciel. Depuis, je ne la regarde plus.
Les entartistes vivent de tarte, mais aussi de plaisir et d'audace.
Le groupe "Les Entartistes du Québec" est né
en mai dernier. Une gang d'amis autour d'une bière et hop!
la tarte. On voudrait que plein de gens - pauvres et riches, jeunes
et vieux - forment des groupes d'entartistes comme nous. Quatre
à six personnes qui trouvent leur première cible elles
sont nombreuses. Notre message est simple: Écoute, remets
les pieds sur terre, t'es pas si grand." Une tarte dans la
face, ça ne blesse personne, sauf l'amour-propre. Avant William
Johnson, notre première cible a été Jacques
Duchesneau, le candidat-policier à la mairie de Montréal.
Il a été entarté par une gang de clowns. On
avait tous des nez rouges. On était une douzaine et on s'était
dit entre nous: "Il faut chanter quand les gardes du corps
vont nous sortir. Et c'est comme ça que ça s'est passé.
Les "gorilles" ont sorti des clowns qui chantaient. Moi,
je me suis réfugié parmi les membres de la chorale
de l'Accueil Bonneau qui avaient été invités
à l'événement. Je les connaissais déjà
pour les avoir invité à chanter dans mes cabarets.
En me voyant arriver, ils m'ont dit: "Ici, t'es en sécurité!"
Ils chantaient "Parlez-moi d'amour" et moi j'envoyais
des bye bye aux policiers qui me regardaient tous sans savoir quoi
faire...
Quand t'es un entartiste, c'est mieux ne pas avoir trop de plans.
Le seul plan c'est d'espèrer que les tartes se mettent à
voler partout, dans tous les milieux pour entarter tous ceux qui
nous écoeurent: les banquiers, les bureaucrates, les policiers,
les politiciens. Entartons tous ceux qui nous refusent le droit
au bonheur. Tout cela, fait d'une façon la plus pacifique
possible. Sans aucune violence. Faut même aimer nos cibles,
quand on sent que leur visage s'enfonce dans la crème, ultime
geste d'amour. Nous, on veut juste les réveiller: ils sont
endormis par leur égoïsme."
Pierre DEMERS |
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