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C'EST
PAS DE LA TARTE
I1 fallait s'y attendre, on a fait grand
cas dans les médias du défilé de la Saint-Jean.
Pas tellement à cause de l'événement en soi.
Mais bien plutôt à cause de la présence problématique
d'un dénommé William Johnson.
Cet individu élevé par certains commentateurs
au rang de porte-parole d'une minorité dont les droits seraient
bafoués est devenu en l'espace d'un mois une sorte de nouveau
Jean Charest.
Il ne sauvera pas le Québec d'un désastre économique
appréhendé, cet ancien élève des Jésuites
au style cauteleux, mais il l'aidera à s'autoflageller. Pourquoi
faire tant de cas d'un agitateur somme toute tout à fait
médiocre? Allez savoir.
Un immense éclat de rire devrait ponctuer ses déclarations.
Quand il dit à la télévision que les «Canadiens
français» sont un peuple accueillants qu'ils ont le
respect des autres, on pourrait au mieux se taper le cul par terre.
Quel besoin a-t-on d'un accessit venant d'un petit activiste? Tout
le monde sait que s'il distribue ainsi ses louanges c'est pour mieux
indiquer qu'il nous aime obéissants, prêts à
rentrer dans le rang, prêts à écouter tous les
soirs les entrevues de Robert-Guy Scully avec un troisième
couteau de quelque famille royale et à les trouver admirables,
prêts à estimer que les propos racistes répétés
ad nauseam dans la presse canadienne de Montréal à
Vancouver au sujet des Québécois et de leur fragile
projet d'indépendance ne sont pas tellement significatifs.
On lui a lancé au visage une tarte à la crème.
De quoi inaugurer un nouveau produit, la Johnson Cream Pie. Diantre!
il devait être aux anges. C'est ce qu'il souhaitait, le Johnson.
Rien ne flatte mieux un excité qu'une publicité gratuite.
Il aurait pourtant suffi de brandir sous son nez des pancartes sur
lesquelles on aurait scotché des extraits des textes sans
nombre qu'il a publiés dans The Montreal Gazette pour qu'il
comprenne qu'avec cette prose-là on ne prépare pas
son entrée dans une fête populaire dont l'existence
même a à voir avec l'expression d'une certaine fierté.
Avec un peu d'esprit d'à-propos on lui aurait même
récité du Gaston Miron. Rarement geste aussi bas aura-t-il
passé presque inaperçu. Pour être gentils, nous
le sommes. Il fallait lui hurler d'indignation quelques poèmes
d'une éclatante beauté plutôt que de lui écraser
en pleine figure une tarte à la crème. On ne répond
pas de cette façon à la bassesse.
Nous voilà donc pris avec une nouvelle vedette. Espérons
que l'effet ne durera pas. Connaissant l'individu, il ne devrait
pas tarder à commettre quelques bourdes supplémentaires.
J'ai dit qu'il a le style jésuite, qu'il est rusé,
mais il est aussi fort naïf.
Cela n'empêchera probablement pas qu'on lui trouve des excuses
dans certains médias. Parfois, on ira même au-devant.
Après l'avoir présenté comme un observateur
valable d'une situation québécoise qu'il voit à
travers un prisme souvent déformant, on accentuera l'importance
d'une injustice réelle
ou imaginaire qu'il aura dénoncée.
Après tout, n'est-il pas en quelque sorte sacré représentant
d'une supposée minorité?
Pourquoi se gênerait-on? Il faut savoir à qui appartiennent
les médias. Quels intérêts ils servent. Puisqu'il
est maintenant admis que le projet d'indépendance du Québec
est en veilleuse, puisque le Parti québécois qui devrait
en parler tous les jours préfère s'en tenir au déficit
zéro.
On a presque réussi à répandre dans la population
que l'autonomie du Québec est une idée d'inspiration
désuète, sorte de combat d'arrière-garde. Alors
que le Canada de Jean Chrétien est un pays de tolérance
et d'ouverture d'esprit.
D'un côté, le risque, les dérives, les tentations
de totalitarisme. De l'autre, la sûreté d'appartenir
à un pays incertain mais tout de même fort grandissant
dans l'ombre d'un voisin aussi omniprésent que protecteur.
Et je te mets des feuilles d'érable par ci, des feuilles
d'érable par la. Dès les premiers jours de son arrivée
au Québec, l'immigrant sait que c'est le pays à l'unifolié
rouge qui l'a accueilli. Imbu d'un esprit de reconnaissance tout
à fait explicable, il blâmera les irresponsables et
les ingrats qui dans un tel pays de Cocagne parlent de séparation.
La fête du Canada s'accompagnait cette année de cinq
jours de célébration. Pourquoi pas 10? Pendant ce
temps, même William Johnson exprime des idées quant
au défilé de la Saint-Jean. Il le trouve trop nationaliste,
le pauvre chou. Peut-être voudrait-il qu'il soit bilingue
et qu'il se déroule dans le West Island? Il le dirait, je
n'en serais pas outre mesure surpris, et on l'écouterait
sans rire.
Au Québec, on sait à peine lancer des tartes à
la crème.
Gilles ARCHAMBAULT |
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